Opinion : Le contresens du sens

Opinion : Le contresens du sens

Le contresens du sens

 

À trop utiliser un mot polysémique, le risque de ne rien dire ou pire, le risque de se perdre ou de s’y perdre est réel. Il en va ainsi du sens. Dans une société post-moderne qui chercherait à surmonter le désenchantement du monde, on a l’impression que tout le monde ou presque ne jure que par le sens.

D’un côté, les injonctions se multiplient sur les personnes. Il faut « donner plus de sens à sa vie », une perspective qui fait écho à une interrogation quasi-métaphysique, « comment lui donner du sens » ou à la formulation d’un constat qui pourrait paraître effrayant, « ma vie n’a plus de sens ». De l’autre, de nombreux experts ne cessent de prendre la parole ou la plume pour exhorter chacun à suivre le plus droit chemin pour renouer avec ce mythe d’un paradis perdu bientôt retrouvé. Les « donner un sens à sa vie » en 7 exercices sont à confronter aux 6 règles d’or pour « trouver un sens à sa vie » ou encore au 5 clés pour « redonner un sens à sa vie ».

À un autre niveau, l’entreprise ou ses laudateurs amplifient ou participent plus que notablement à ce mouvement. Le sens y serait une valeur à la hausse. La perte de sens serait terrible à vivre pour les managers tout autant que pour les salariés. La quête de sens au travail serait devenue si essentielle en entreprise que l’APEC (article du 21/7/2020) en vient à le formuler en ces termes : « un objectif à atteindre pour les cadres, l’objet d’une stratégie à mettre en place pour les dirigeants, un challenge d’accompagnement pour les managers ».

51 % des cadres jugent “très important” d’exercer un métier qui a du sens (Source : Apec, Salariat et autres formes d’emploi, mars 2019). Le propos d’un consultant « Nous devons réinventer l’entreprise, lui redonner du sens » cité dans une tribune de la revue Entreprendre fait écho à l’un des mots d’ordre du MEDEF « Ensemble, Redonnons du Sens à l’Entreprise » qui vient clôturer un écrit sur la RSE de Dominique Carlac’h, Porte-parole et Vice-présidente de cette organisation patronale. Ce type d’illustrations pourrait être multiplié à l’infini. Livres, revues et web en regorgent.

Le sens est monétisé pour mieux se retrouver ensuite démonétisé. Pour le formuler autrement, la première étape consiste à accorder une valeur au sens que l’on lui dénie ensuite en laissant entendre qu’il est potentiellement partout et qu’il suffit de le chercher pour le trouver. En toile de fond, une vision assez terrible du monde s’impose aux personnes tout autant qu’à l’univers des entreprises : à quel châtiment sera voué celui qui demeurera sans sens ou qui ne retrouvera pas ce qui fera le sien, de sens.

Il est bien temps d’introduire une approche du sens qui ne se laisserait pas mettre en équation ni en « conseil ». Derrière la question du sens se dissimulent deux désignations de ce terme qu’il est essentiel de désintriquer. Il y a sens et sens ou, pour l’écrire autrement, signification et sens.

D’un certain point de vue, ce dont presque tout le monde parle ne renvoie qu’à une histoire de significations. Il est tout autant possible de chercher et de trouver une signification que d’élaborer une méthode de travail qui mène à la découverte d’une signification. Alors, oui, certains projets, certaines décisions, certaines façons de vivre vont prendre et avoir une signification particulière telle qu’elle en vient à se distinguer des autres et, pour cela, acquiert une valeur construite singulière.

Le sens, lui se révèle. C’est dans une sorte d’instant suspendu qu’une personne à l’impression que du sens émerge de ce qu’elle vient de traverser ou de ce qu’elle a vécu. Cette sensation de tenir quelque chose est extrêmement précise et forte et disparaît tout aussitôt. Il en reste l’impression d’un réagencement de fragments de vie qui apporte une force nouvelle force, énergise et impulse. Ensuite, ce sens ne reste présent qu’au travers de figures qui se sont construites dans le mouvement de ses différentes apparitions et que nous transformons en objets tangibles alors qu’elles ne sont que les traces de ce qui a été pour si peu de temps et qui n’est plus.

Une signification se construit, se modélise, se travaille. Tout ce qui se dit en entreprise au sujet du sens ne parle que de signification dans la majorité des cas. Faire accroire aux uns et aux autres que quelque chose d’essentiel va se jouer à cet endroit-là, est trompeur. Un contrat de travail et l’appareillage juridique qui lui est associé ne portent en rien la responsabilité d’un « offrir du sens à une vie ». L’entreprise et ses managers participent potentiellement à organiser une forme de confusion dont ils ne sortiront pas indemnes lorsque des salariés commenceront à réaliser qu’ils ont été mystifiés, que leurs expériences personnelles du sens ne correspondent pas du tout à celui prôné par le marché.

L’Entreprise est une grande consommatrice de mots. Cette tendance fait tenir des effets de mode, rémunérateurs pour certains, tout autant qu’elle participe à une certaine mise en tension des salariés. Le problème tient au fait que la mise en place d’une dynamique pertinente et de qualité n’a pas besoin de « mots nouveaux » ou de « mots marketés » pour exister. Elle renvoie surtout à un faire ensemble qui se construit d’échanges et de considérations réciproques intégrant le jeu de contraintes nécessaires que toute organisation fait peser sur un ensemble de personnes devant ce que ces dernières ont collectivement à faire et à produire. Cette histoire de « quête de sens » fonctionne un peu comme l’arbre qui cache la forêt. Pour s’en convaincre, il suffit de commencer à faire plusieurs fois le tour de l’arbre censé cacher la forêt pour ensuite aller vivre l’expérience d’une promenade en forêt. La différence ? Si elle existe ? Je vous la laisse découvrir.

Philippe Nowicki

Dirigeant d’une société de conseil en recrutement

Auteur

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Les Grands Courtiers évalués de façon quantitative et qualitative par 190 Risk Managers… (la suite dans le communiqué)

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